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Actualisé le 24 juillet 2024

La spéculation immobilière au 16ème et 17ème siècle à Bruges

Les prix de l’immobilier sont trop élevés actuellement ? La situation n’était pas plus enviable au milieu du 16ème siècle à Bruges où bon nombre de petits propriétaires ont été obligés de vendre en espérant pouvoir racheter plus tard lorsque des temps meilleurs seraient revenus. Le sort en a décidé autrement.

L’immobilier à Bruges a connu des hauts et des bas au fil des siècles mais au 16ème et 17ème siècle, le marché a connu des soubresauts particulièrement marqués.

L’historienne belge Heidi Deneweth de l’université de Bruxelles (Vrije Universiteit) et du Brussels Centre for Urban Studies a épluché les documents des notaires, du cadastre et des impôts sur près de 100 ans entre le milieu du 16ème siècle et le milieu du 17ème siècle. Alors que les prix de l’immobilier font presque x5, la part de propriétaire d’une maison à Bruges est quasi divisée par 2 pour atteindre un petit 27%. Dans le même temps, les salaires ont fait x3. Une situation anormale qu’elle a décryptée.

Nous sommes à une époque charnière pour Bruges et l’horizon semble bien sombre pour l’ancienne ville. Au début du 16ème siècle, le pouvoir d’achat des commerçants et des artisans était le plus important des Pays-Bas. Moins de 100 ans plus tard, c’est la dégringolade : la grande place financière n’est plus, les échanges commerciaux se font ailleurs et la faim guette. La ville a perdu plus de 10000 habitants dans les deux dernières décennies du 16ème siècle.

Beaucoup de petits propriétaires et de personnes de la classe moyenne décident alors de vendre pour limiter la casse et émigrent (parfois juste à peine plus loin). Les riches propriétaires se ruent sur les biens immobiliers bradés. Ils en profitent pour racheter à vil prix des biens de qualité mais aussi pour verrouiller le marché. Les meilleures rues sont accaparées et les maisons sont transformées pour que les propriétaires disposent de plus belles surfaces et de biens d’encore meilleure qualité. Les quartiers les moins bien côtés ne sont pas épargnés. Des habitants vendent pour devenir locataire de leur ancien bien, les travaux d’entretien sont moins bien réalisés et, alimentant une spirale négative, les moins belles maisons voient leur prix divisé par 2 en seulement 10 ans.

Le début du 17ème siècle voit cependant une amélioration économique mais les décennies les plus fastes appartiennent pour toujours au passé. Les nouveaux propriétaires disposent de plus belles propriétés et ont la main sur une part importante du marché. Ils sont désormais bailleurs et peuvent aussi vendre des biens. Les anciens propriétaires ont alors voulu racheter leurs anciens biens. L’activité économique allait de l’avant, les finances s’amélioraient. C’était le moment de revenir. Bonne réflexion mais mauvais calcul !

Alors que la ville se vidait, le marché s’est complètement retourné. La sécurité apportée par la ville et la reprise économique ont dynamisé le marché. Pas de chance, la rafle des biens réalisés par les élites a artificiellement bousculé et augmenté les prix locaux et plus aucune maison n’était désormais dans les prix de la classe moyenne allant des ouvriers aux artisans. À ce moment, on trouve à Bruges beaucoup de personnes souhaitant y loger. Conséquences : les anciens propriétaires n’ont pas vraiment le choix et deviennent locataires. Les maisons vendues le sont à de nouveaux arrivants. Ce sont par exemple les nouveaux gagnants de l’économie qui, seuls, peuvent débourser les montants demandés pour acheter.

La Bruges du début du 17ème siècle, qui avait inventé la bourse, s’est retrouvée piégée : le marché a toujours raison mais lorsque le jeu de l’offre et de la demande n’est pas équilibré, c’est toute la société qui vacille.